La bastide de Plaisance-du-Gers au XIXe siècle : croissance et apogée du bourg-marché (vers 1780-1880)

par ALAIN LAGORS,professeur d'histoire,membre de la Société Archéologique et historique du Gers et Plaisantin.


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   La petite industrie plaisantine du XIX' siècle prolonge les activités artisanales de Plaisance de l'Ancien Régime, tout en renforçant -surtout à partir de 1850- certaines d'entre elles (les minoteries) ou en les restructurant en unités de production plus importantes (la tannerie, la carderie-filature). Cette industrialisation est l'oeuvre des notables du bourg (H.Saint-Pierre Lesperet, les Rosapelly, les Verdier et J. Castagnon) ou du canton (B-A de Cassagnac, les Matayron), tous gros propriétaires terriens qui, par leurs activités de transformation des produits du sol, ont su capter non seulement l'expansion agricole de la Rivière-Basse mais aussi la croissance commerciale du bourg-marché, tout en stimulant celle-ci.
    Les créations industrielles sont parfois financées par les activités du négoce. Les Rosapelly, « industriels » (76) de Plaisance dans le dernier tiers du XIXe siècle, sont avant 1864 de gros marchands de vins. Ils le demeurent jusqu'en 1882, mais diversifiant leurs activités par les achats des entreprises Saint-Pierre et par les nouveautés qu'ils y greffent, ils deviennent alors de la fin du Second Empire à la Belle Epoque : minotier, patron d'une carderie, marchand de bois, entrepreneur agricole et directeur d'une des toutes premières usines électriques de la Gascogne. Figures de proue du petit groupe des industriels plaisantins, les Rosapelly révèlent par leurs multiples activités le dynamisme et le goût de l'innovation (électrification du bourg dès 1893!) de la bourgeoisie plaisantine qui a su exploiter le potentiel industriel d'un bourg de 2000 habitants en le dotant d'un dizaine de petites entreprises mues par la seule force motrice disponible de Rivière-Basse : l'eau. Ces « industriels » plaisantins perçus comme tels par la population locale, de mentalité sûrement plus bigourdane que gersoise (77)  ont contribué par leur dynamisme à prolonger tardivement dans le XIX siècle la croissance de la petite ville
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7) - Une croissance économique mais aussi un développement du niveau de vie
   Le journaliste Dominique Vincent écrit au sujet de la société plaisantine de la Monarchie de Juillet : « elle ne possède point de fortune colossale mais l'aisance règne parmi ses habitants » (78).
    Le développement du niveau de vie moyen des Plaisantins au cours du XIX, siècle est perçu grâce aux indicateurs suivants :
a) Une amélioration de l'habitat : on reconstruit beaucoup de vieilles maisons du noyau urbain ancien dans la première moitié du XIX, siècle. Cette transformation de l'habitat est évoquée parD. Vincent quand il écrit : « Plaisance remplace par des maisons commodes et élégantes les informes masures qui déparaient ses rues et ses places » (79).
b) Les progrès de l'hygiène sont les résultats des préoccupations de salubrité des édiles locaux, s'efforçant d'éradiquer tout foyer pestilentiel à l'intérieur de la cité, de garantir à la population la qualité de l'eau potable par des aménagements de puits (80). En 1839, les premiers bains publics de la ville ou « Bains Ducos » ouvrent leurs portes sur les bords de la rivière. Des lavoirs sont aussi aménagés le long de l'Arros et des canaux.
• c) Une amélioration de la protection médicale : les professions de santé sont plus nombreuses. Le Bureau de Bienfaisance avec son « médecin des pauvres » assure une médecine gratuite pour les plus défavorisés pendant tout le XIXe siècle (81).
• d) Le développement de l'instruction (82) : Il se traduit dans le première moitié du XIX, siècle par la transformation en 1832, de l'école communale des garçons en école d'enseignement mutuel, ce qui permet de scolariser à moindre frais une population scolaire en augmentation constante du fait de la forte expansion démographique du bourg ; l'apparition de petites écoles ou pensionnats privés de garçons : petite école rurale ouverte en 1842 dans une grange de la ferme Barbasson par J. Duffau, (83) cours de latin tenu par Maurice Rosapelly dans son domicile entre 1811 et 1845 ; le développement de l'instruction des filles : quatre-vingt élèves de la commune mais aussi du canton fréquentent sous la Monarchie de Juillet deux petites écoles privées et un pensionnat(84) pour demoiselles ouvert en 1834 par mademoiselle Dulin de Galiax ; La création d'un cours secondaire en 1846 : il ouvre ses portes dans l'aile nord du vieil hôpital qui abrite dans sa partie centrale l'école primaire des garçons. Dirigé successivement par monsieur Labrousse et l'abbé Labadens, il est fréquenté sous le Second Empire par le jeune Cazauran, futur prêtre érudit de la Gascogne gersoise.
    A partir de 1865 et jusqu'aux lois Jules Ferry, les frères de la Doctrine chrétienne installés par B.A Granier de Cassagnac dans le vieil hôpital de la ville, ont le monopole de l'enseignement primaire et secondaire des garçons. La petite école communale des filles doit affronter la concurrence du pensionnat du Tiers Ordre de Marie, construit dans le nouveau faubourg au début de la IIIe République. Ajoutons-y la création en 1887 d'un cours complémentaire à l'Ecole communale laïque des garçons qui prolonge la tradition du cours secondaire apparue dans la première moitié du siècle.
    Les progrès de l'instruction mais aussi l'ouverture du bourg et de la région expliquent le développement de l'usage du français au détriment de l'occitan. Dominique Vincent écrit en 1843 à ce sujet : « il n'y a pas longtemps encore l'usage de la langue française semblait réservé à une certaine classe de gens, mais depuis lors, le goût de l'instruction s'est répandu, et maintenant il n'est pas jusqu'au plus petit épicier qui ne cherche à oublier son patois et placer son fils au collège... ».
* e) Le développement des loisirs se manifeste par la création dans la première moitié du siècle de promenades publiques, l'existence dès 1862 d'un comité des fêtes, la construction sous le Second Empire des premières arènes de bois (85) et l'affectation, toujours à la même époque, de la salle de la mairie à divers spectacles (86). Nous avons évoqué précédemment l'ouverture d'un billard (1868), d'un jeu de quilles (1875) et d'une salle de danse (1878).
• f) Des nouveautés, des raffinements : le chef-lieu du canton où apparaissent professions et techniques nouvelles devient un espace de modernité et une vitrine de la mode pour les populations des campagnes de la basse vallée de l'Arros et des coteaux. Ces nouveautés s'égrènent tout au long du siècle. un faiencier (87) (1787-1911), un marchand quincaillier (An XIII), un horloger (1824), un architecte (1826), un pâtissier (1830), un artiste-vétérinaire (1834), un coiffeur (qui n'est plus appelé perruquier), et une marchande de casquettes (1858), un dentiste (1860), une marchande de mode (1863), un décrotteur (cireur de bottes, 1869), un professeur de musique (1871), une bibliothèque municipale (1891) (88). Le premier train arrive en 1859 à six kilomètres du bourg, le télégraphe apparaît en 1869, les premières batteuses vers 1875. Le bourg est électrifié dès 1893.
 
 

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(76) Jean Rosapelly, De Rosapelly au pluriel, manuscrit dactylographié, communication faite à la Société Académique des Hautes Pyrénées en octobre 96.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

(77) Au XIX, siècle s'accentuent les contrastes sociaux et économiques des deux bastides limitrophes. A Beaumarchès « aristocrate » et terrienne s'oppose Plaisance plus bourgeoise, mais aussi plus boutiquière et artisanale.
 
 
 
 
 
 

(78) D. Vincent, Plaisance.... op. cit.
 
 
 
 
 
 

(79) Matrices cadastrale.... op. cit.

(80) On projette même sous la Restauration d'amener par un aqueduc l'eau de la source de Barbat en plein coeur de la ville. Par souci de salubrité le puits communal de la vieille place est couvert.-Matrices cadastrales,_ op. cit.
(81) Amicales des Anciens Elèves, Histoire du cours complémentaire de Plaisance du Gers, Imprimerie Dauba 1995.
(82) Supra, Maurice Rosapelly est le père de l'ethnologue bigourdan Norbert Rosapelly.
(83) Archives familiales Duffau-Barbasson: 50 élèves par an en moyenne de 1842 à 1850,53 pour la période 1851-1869 (dont 70 pour la décennie 1851-1861), 19 de 1870 à 1876.
(84) A.D. Gers, Enquête 1840, F' 1670.
 
 
 

85) A.M Plaisance, cahier contenant les comptes du comité des fêtes ainsi que le paiement fait pour l'achat du matériel des arènes, 1862.
(86) Délibérations Communales (1965-1894), .... op. cit, séance du 22-01-1869.
(87) A.M Plaisance, Etat civil. Mariage du 19-06-1787 entre Jean Joseph Ducasse originaire d'Esparron, diocèse de Comminges, et Marthe Pesques de Plaisance. J J Ducasse est originaire du pays des faïences de Martres Tolosane. Il meurt le 04-05-1790 mais son fils J.B. né en 1788 est encore faïencier en 1811 (mariage entre J.B Ducasse et Jeanne Claire Marie Ducos).
(88) Renseignements glanés à partir de l'Etat civil (actes de mariage). Il s'agit de la bibliothèque Olleris