La bastide de Plaisance-du-Gers au XIXe siècle : croissance et apogée du bourg-marché (vers 1780-1880)
par ALAIN LAGORS,  professeur d'histoire, membre de la Société Archéologique et historique du Gers et Plaisantin.

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4) - D'une disproportion de l'agglomération et de la disparition progressive du paysage urbain ancien
     Sur le plan de 1826, le nouvel espace urbain modelé par la grande route présente les trois caractères suivants :
• un étirement de l'agglomération du Nord au Sud sur plus d'un kilomètre et demi :
• la disproportion entre la bastide très étriquée (superficie de 2,5ha) et le faubourg Sainte Quitterie immense qui s'étend le long de la route :
• l'effacement progressif du paysage ancien de la bastide avec la destruction des portes, de la halle, de l'église Saint Nicolas et des maisons à pans de bois.
     La grande route des Pyrénées a bien transformé dans le premier tiers du XIXe siècle Plaisance en « bastide-route ».

Il - 1837-1875 : LA NAISSANCE DU FAUBOURG DE LA « GRAND RUE » ET DE L'ÉGLISE ET LES RÉAMÉNAGEMENTS DE LA VIEILLE BASTIDE
« Puissent le mouvement de sa population et le développement de son commerce féconder ce désir d'agrandissement qui la tourmente » écrit Dominique Vincent en 1843.
1) - Le nouveau faubourg
      De 1837 à 1875, durant quarante ans, Plaisance devient un énorme chantier : on y construit, en effet, un monumental pont de pierre, on y édifie un vaste faubourg qui se structure autour d'une nouvelle place à arcades et d'une vaste église, toute neuve, on y creuse un canal d'irrigation qui alimente deux minoteries modernes! Mais on continue toujours à réaménager la vieille ville.
a) - Les promoteurs
    Le nouveau quartier en construction à partir de 1837 dans la zone des jardins et prés dite « à Mounat », à l'ouest du noyau urbain ancien, n'est pas né d'un plan préconçu. Il est le résultat d'un urbanisme pragmatique fait d'aménagements successifs, créés au gré des éventuelles possibilités d'achats de terrains à allotir, du coût des équipements à construire et qui prennent jour souvent après bien des tergiversations des édiles locaux. Ce sont les municipalités qui guident, stimulent l'extension urbaine de la petite cité, achetant les terrains nécessaires à l'extension du bourg, lotissant les nouveaux espaces à occuper. Mais les conseillers municipaux ont souvent trouvé un écho favorable auprès des  particuliers qui offrent parfois gratuitement -ou à des conditions avantageuses de paiement- les terrains nécessaires à l'extension projetée (102).
PLAISANCE VOLS 1880

 

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   Certains habitants du lieu ont, par leurs initiatives, favorisé la croissance urbaine de leur cité. De 1854 à 1865, la veuve Ducuing née SaintPierre Lesperet transforme les terres agricoles de sa métairie de Lalanne, proches de la nouvelle place aux Grains, en lotissement populaire. Elle y édifie pendant une dizaine d'années vingt cinq maisons (103), toutes identiques, ressemblant à un petit « coron artisanal » qu'elle loue aux artisans nouvellement implantés dans le bourg.

b) - Les mobiles 
Trois impératifs présidèrent à la construction du faubourg:
  *La nouvelle extension Est-Ouest de la cité casse l'étirement NordSud de l'agglomération le long de la grande Route des Pyrénées et rééquilibre ainsi l'espace urbain ; 
 • le quartier créé, plus citadin par son organisation de l'espace et ses équipements que le faubourg Sainte Quitterie, double la vieille bastide, contribuant à renforcer le « centre-ville » et donner à Plaisance un visage plus urbain ; 
• il renferme aussi le grand équipement commercial de la cité de la Monarchie de Juillet: la place aux Grains. Il est conçu pour la circulation et le commerce d'un bourg-marché en pleine expansion vers 1850.
2) - Les étapes de l'urbanisation du faubourg (1837-1875)
    L'urbanisation du quartier créé dure une trentaine d'années (18431875) et se fait en plusieurs étapes.     Alors que la route de Préchac, axe de la nouvelle expansion urbaine, est percée dès 1837 (104), les premières constructions n'apparaissent qu'en 1843. Ces six ans de battement font dire à Dominique Vincent : « On a commencé naguère la construction d'une nouvelle place qui sera peutêtre longtemps déserte ». Mais, à partir de 1843, l'occupation du faubourg s'affirme, lentement toutefois, jusqu'en 1853. Durant cette décennie, il n'accueille qu'une vingtaine de constructions (24) dont les dix premières sont édifiées en majorité par des professionnels du bâtiment, devenus premiers propriétaires du nouveau quartier. De 1854 à 1864, le mouvement s'accélère puisqu'on y construit une cinquantaine de maisons. L'édification au coeur du quartier de la nouvelle église dont les travaux débutent en 1854 mais aussi l'opération immobilière de la veuve Ducuing qui voit le jour aussi à cette date contribuent au succès de l'opération urbaine (105).

Dès 1861, le faubourg de l'église bien qu'encore inachevée est bien dessiné. F.J. Bourdeau l'évoque ainsi en 1861 : « On y remarque une nouvelle église paroissiale, en construction, en ce moment la place aux Grains avec ses maisons latérales et parallèles et leurs longues galeries à arceaux continus, terminée à l'est par le nouveau monument religieux »
     L'urbanisation se prolonge encore pendant une décennie jusqu'en 1874, mais à un rythme ralenti : trente quatre constructions y sont édifiées. Mais on reconstruit et on agrandit les maisons existantes, ce qui témoigne de la réussite de l'opération urbaine mise en place sous la Monarchie de Juillet et de l'enrichissement rapide de beaucoup d'habitants du quartier. A partir de 1875, le mouvement se tarit car la croissance démographique trop faible ne le soutient plus

 3) - Le plan (106)- la voirie
    Le nouveau quartier de forme trapézoïdale et de direction générale est-ouest couvre une superficie de 10 hectares, soit environ quatre fois et demi celle du noyau ancien. Greffé sur le chemin de grande communication de Plaisance à Conchez par Viella, ouvert en 1837, le nouvel -espace urbain s'étire le long de la route de Préchac, dont la portion urbanisée dans le faubourg devient très vite la rue Adour ou Grand Rue. Axe de la nouvelle expansion urbaine mais aussi trait d'union entre la Place Vieille et la Place Nouvelle, elle devient dès le début de la III, République, l'une des rues les plus animées de la cité. Le nouveau quartier reprend l'aspect régulier du plan de la bastide vieille.
      Son tracé s'organise le long de trois longitudinales de direction EstOuest : route de Préchac ou rue Adour au Nord, rue Saint Nicolas au centre qui constitue l'axe de symétrie, vieille route de Castelnau au sud ou rue de la fontaine. Elles débouchent, toutes trois, à l'ouest sur le nouveau chemin de grande communication, ouvert en 1852, qui file droit sur Belloc, appelé aussi route de Barbat. Celle-ci constitue la limite occidentale du nouveau quartier. Quatre transversales les recoupent orthogonalement délimitant huit îlots bâtis, le plus souvent de forme rectangulaire mais de dimensions différentes. La forme trapézoïdale des îlots occidentaux est due au tracé oblique de la route de Barbat de direction Nord-Ouest Sud-Est. L'îlot central se subdivise en deux sous-espaces. L'un compris entre la rue Adour et la rue Saint Nicolas, le premier aménagé, renferme la place aux Grains. L'autre qui s'étend au sud de ce dernier est occupé par l'église et un vaste « patus ».
     Par son tracé, le nouveau faubourg rappelle les bastides de structures linéaires conçues pour la circulation. Le plan du nouveau quartier rappelle en plus aéré, plus spacieux celui du noyau ancien.

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4) - La place aux Grains ou place Nouvelle
      Edifiée entre 1843 et 1849 (107), la place aux Grains couvre une étendue d'environ 20 ares et demi, soit une fois et demi la vieille place. Elle est encadrée à l'est et à l'ouest par deux îlots de maisons bâtis sur arcades très régulières de pierre. Elle est née du projet commercial de la municipalité de la Monarchie de Juillet qui recherche un vaste espace pour y ériger une grande halle aux grains. Dès 1834, les carrières de Mondébat et de Croute fournissent la pierre nécessaire à la construction de l'édifice (108). Mais, ce premier projet, jugé trop onéreux, est abandonné et est remplacé en 1842 (109) par un nouveau plan de coût plus modique, permettant d'associer à la fois les objectifs commerciaux et d'urbanisation d'un bourg-marché en plein expansion. Il abandonne, en effet, le projet de la construction d'une vaste halle aux grains et réduit les dimensions de la place. L'espace restant est alloti, vendu mais aussi concédé en partie gratuitement aux nouveaux propriétaires qui s'engagent à construire selon un plan donné : des maisons à arceaux. Les longues galeries latérales édifiées qui occupent les parties des lots concédés gratuitement deviennent un espace public destiné au marché aux céréales. La municipalité a ainsi économisé les frais occasionnés par l'édification d'une vaste halle aux grains, tout en favorisant l'occupation de la nouvelle place par les conditions d'installation avantageuses offertes aux nouveaux propriétaires. La place aux Grains, par son aspect monumental, contribue aussi à l'embellissement de la cité. Elle prend très vite le nom de place Nouvelle pour la distinguer de la place Vieille du noyau urbain ancien dont elle a repris l'architecture à arceaux.
     Au début de la IIIe République, elle devient trop exiguë vu la fréquentation toujours grandissante des foires et marchés de Plaisance. La municipalité envisage alors, en 1883 (110) , son agrandissement et même de parfaire son architecture en prolongeant vers le sud, par la construction de nouvelles maisons à arcades, ses deux galeries latérales qui devaient constituer un écrin de pierre à l'église toute neuve. Ce projet monumental trop tardif ne voit pas le jour, du fait de la crise du bourg à la Belle Epoque.

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(102) Délibérations communales  cit., séance du 28-05-1834: "Monsieur François Laffeuillade négociant, membre du conseil municipal avec lequel monsieur le maire a traité, a offert de donner pour l'ouverture de la route de Préchac une somme de 1500 francs et de fournir gratuitement le sol nécessaire ; séance du 11-11-1842 : « le terrain pour la construction de la Place nouvelle sera payé à monsieur Laffeuillade dans les cinq ans et cinq paiements égaux », KM Plaisance, Registre de la fabrique de la paroisse Sainte Quitterie de Plaisance, séance du 05-06-1953 : « L'abbé Bonnafont donne à la municipalité le jardin qu'il possède au sud de la place Nouvelle pour l'édification de la nouvelle église ».
(103) Matrices cadastrales.... op. cit., 1° volume, Augmentation de 1854 à 1865
 
 
 
 
 
 

(104) Matrices cadastrales.... op. cit, 1837, Diminutions : destruction de la grange de Barthelemy Olleris pour l'ouverture de la route de Préchac. La pierre sculptée portant le millésime 1837, incluse dans la façade de la pharmacie Labadie rappelle la date de l'ouverture de la route de Préchac.
 
 
 

(105) A.D., 6M 146, canton de Plaisance, 1856 : le recensement dénombre 20 maisons à « place neuve » occupées par 27 ménages (l 14 habitants). Une rue du faubourg appelée « angoync » (Grande rue?) est bordée de 30 maisons habitées par 33 ménages (112 habitants). En 1856, la population du faubourg dépasse les 200 habitants : 21 maisons sont construites entre 1854 et 1856.
 
 

(106) Voir plan de Plaisance vers 1880: organisation spatiale du bourg-marché à son apogée.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

(107) A Maubourguet en 1836 on édifie aussi une vaste place aux Grains.
(108) Délibérations communales (1811-1838).... op. cit., séance du 28-05-1834: « la pierre nécessaire à la construction de la halle aux grains, se trouvait extraite, savoir la pierre de taille aux carrières de Mondébat et le moellon dans celle de Croute... ».

(109) Idem, séance du 11-12-1842

 

 

 

(110) Délibérations communales (1865-1894).... op. cit., séance du 29-11-1883: « les terrains avoisinants l'église et appartenant à la commune seront aliénés ( ... ) à la charge des acquéreurs d'élever sur ces terrains des constructions conformes à celles qui entourent la place... »