La bastide de Plaisance-du-Gers au XIXe siècle : croissance et apogée du bourg-marché
(vers 1780-1880)

par ALAIN LAGORS (1) professeur d'histoire,membre de la Société Archéologique et historique du Gers et Plaisantin.
 


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1) - Une situation favorable dans une grande vallée quadrillée de routes et desservie dès 1859 par la première voie ferrée de la Gascogne (Morcenx- Tarbes).

    Le désenclavement de la basse vallée de l'Arros est le facteur fondamental de la prospérité de Plaisance et de ses campagnes environnantes au cours du XIXe siècle. L'ouverture des cantons du Moyen-Adour s est faite en trois étapes :
        - Dès la fin du XVIII' siècle, la construction de la grande route de Bordeaux aux Pyrénées (22) place Plaisance sur l'un des grands axes du piémont pyrénéen. Venant d'Aire, elle file droit vers le sud, longeant les rives droites de l'Adour et de l'Arros jusqu'à Lasserrade (23). Là, elle se divise en deux branches, l'une piquant vers Marciac, l'autre bifurquant vers l'ouest, traversant l'Arros puis la place de Plaisance pour ressortir « darré »la bastide et prendre une direction Nord-Sud via Ladevèze, Maubourguet et Tarbes. Construite entre 1777 et 1782 par le moyen de la corvée (24), la grande route des Pyrénées, au tracé en baïonnette dans la commune de Plaisance, désenclave dès la fin du XVIIIe siècle la Rivière-Basse et assure la prospérité de ses bourgs et de ses campagnes, en activant leurs relations avec la montagne toute proche. Cet axe routier, devenu grande route royale d'Aire à Tarbes jusqu'en 1830 (25), puis routes départementales n°3 et n'14 (26) concentre jusqu'en 1860 les principaux flux de circulation basse vallée de l'Arros -Pyrénées. Sous la Monarchie de Juillet, elle est parcourue par un « courrier de dépêches publiques, une diligence -parfois des pyrénéistes - (27) mais surtout par un roulage ordinaire très considérable... » (28)
         A la fin du XVIIIe siècle, la route royale de Nogaro qui relie la basse vallée de l'Arros au Bas-Armagnac s'embranche sur cet axe, au pied de la côte de Termes.
           La Monarchie de Juillet, si pourvoyeuse de routes, fait de Plaisance l'un des carrefours des pays du Moyen-Adour. La création de nouveaux axes de communication est l'une des grandes préoccupations des édiles de Plaisance à partir de 1830, qui désirent greffer sur la grande route des Pyrénées une transversale Est-Ouest en direction de la Ténarèze et du Béarn (29).

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      En 1837, est ouverte à l'ouest de la bastide la route de Préchac (30) tronçon du chemin de grande communication n°36 qui, par Castelnau, Viella et Conchez, relie Plaisance au Béarn. Le tracé très rectiligne de ce nouvel axe routier dans la commune de Plaisance entaille un réseau de chemins vicinaux très dense, tortueux et en mauvais état qui constitue, pendant tout le premier tiers du XIXe siècle, un obstacle aux relations des villages riverains de l'Adour avec leur chef-lieu de canton. La création en 1840 d'un second chemin de grande communication (n°17) vers Vic-Fezensac,appelé aussi chemin des Coustons, par Lasserrade, Mondébat, Lupiac et Belmont lui ouvre le commerce de la Ténarèze (31).
    Les relations de Plaisance avec les villages peuplés de la rive droite de l'Adour sont activées à partir de 1852 par la création d'un nouveau chemin de grande communication (n°73bis) (32) qui prend naissance sur la route de Préchac, à l'ouest du faubourg de l'église en construction, pour filer droit vers Belloc et rejoindre ici le chemin de grande communication de Termes à Labatut (n°73).
      L'ouverture en 1859 de la première voie ferrée de la Gascogne Morcenx-Tarbes modifie le système d'échange de Plaisance et de la basse vallée de l'Arros. La route de Castelnau -tronçon du chemin de grande communication vers le Béarn-reliant la bastide à la nouvelle gare du chef-lieu de canton haut pyrénéen prend alors une importance considérable (33) . La gare, débouché économique de Plaisance à partir de 1860, profite plus à celle-ci qu'à Castelnau qui périclite dans la seconde moitié du siècle. La route de Préchac devient la route des rouliers de la bastide, transportant à la gare, toute proche et facile d'accès, les cargaisons de farine et de tonneaux provenant des minoteries et des caves de marchands de vins de Plaisance et de Préchac. De plus, elle la rattache à la grande route impériale de Riscle à Bagnères de Bigorre, ouverte sous le Second Empire, qui double sur la rive gauche de l'Adour la voie ferrée entre Maubourguet et Riscle, concurrençant alors, la vieille route de Bordeaux aux Pyrénées, passant au coeur de Plaisance.

2) - Une domination sur une bastide rivale (Beaumarchès) et sur les campagnes de la basse vallée de l'Arros, assurée par ses nouvellesfonctions de chef-lieu de canton

    La réorganisation administrative de la France sous la Révolution se traduit sur le plan local par une rivalité des deux bastides limitrophes, Beaumarchès et 
Plaisance, pour le siège de chef-lieu de canton (34) .
   Un premier découpage du 61 District en cantons attribue à Plaisance le siège de chef-lieu de canton, au détriment de Beaumarchès qui se voit dépendre administrativement de la " ville des Pahlassôts " (35) La promotion administrative de Plaisance est, non seulement due à sa situation favorable dés la fin du XVIIIe siècle sur la grande route des Pyrénées, mais certainement aussi, à la bienveillance de deux de ses enfants -Jean Jacques de Latterade et Henri Saint-Pierre Lesperet (36), élus de la Nation en 1789 et 1790- puisqu'elle ravit à Nogaro, siège du 61 District, le tribunal.Au début de l'année 1790, Beaumarchès réclame le siège du canton,invoquant non seulement son passé prestigieux de bastide royale et la qualité de ses équipements urbains, mais aussi la modestie de Plaisance: " elle venait de dépendre d'une petite ville qui venait de naître et qui n'avait pas de justice royale ". Ses revendications sont satisfaites, puisqu'un second découpage d'août 1790, la hisse au rang de chef-lieu de canton, dominant un ensemble de communes de coteaux situées entre Arros et Midour. Plaisance, elle, est le centre d'un vaste canton de plaine s'étirant de Termes d'Armagnac à Armentieux.
   La création des arrondissements sous le Consulat s'accompagne d'une réorganisation des cantons. Plaisance est fortifiée dans ses fonctions administratives, tandis que Beaumarchès perd le siège de canton pour dépendre définitivement de Plaisance. Le XIXe siècle voit donc la revanche de la bastide des comtes d'Armagnac sur celle d'Eustache de Beaumarchès, qui déchue de ses fonctions de chef-lieu de canton et connaissant une dépopulation rapide, est reléguée au rang de gros village.
    Dominant administrativement une bastide qui a perdu son statut de place centrale de l'ouest gersois et qui se trouvait à ses portes, Plaisance peut dès lors renforcer son pouvoir de commandement sur la basse vallée de l'Arros. Une délibération communale de 1839 (37) montre comment un bourg-marché au XIXe siècle fonctionne comme un véritable " centre ", dominant les communes périphériques du canton. Revendiquant le tracé du chemin de grande communication de Plaisance à Vic-Fezensac par Couloumé-Mondébat, Lupiac et Belmont, contesté par Beaumarchès, les édiles plaisantins déclarent : " Ces communes n'ont ni ne peuvent avoir avec Beaumarchès la moindre relation, il n'y a dans cette commune ni établissements publics, ni établissements particuliers qui puissent présenter le moindre intérêt. Tous leurs rapports sont avec Plaisance. C'est là que se trouvent la justice de paix, le contrôleur et le percepteur des contributions directes, le receveur de l'enregistrement, les hommes d'affaires et de commerce et les maisons d'éducation. C'est là qu'existent les marchés et les foires pour lécoulement de leurs denrées. La commune de Couloumé-Mondébat qui est la plus importante de ces communes intermédiaires fournit à Plaisance la plus grande partie de ses approvisionnements de bois de chauffage et de construction, des foins qui lui sont nécessaires et la pierre de taille pour ses constructions. L'exploitation seule des belles carrières de Mont mériterait à elle seule l'établissement d'un chemin de grande communication... ".
     C'est par la route que le bourg-marché assure sa domination sur l'espace rural environnant. Elle lui permet, en effet, de tirer des campagnes qu'elle traverse les produits bruts et la main-d'oeuvre nécessaire à ses activités.

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(22) Portée sur la carte de Cassini (fin XVIIIe siècle). Voir aussi plan de l'An XI.
(23) Ici, au lieu dit Bonnet se trouvait en l'An XI, l'auberge du sieur Dupech qui s'appelait « au citoyen François, bon pied, bon oeil ». A.N, F(31) 12, Plan de la commune de Plaisance.... op. cit.
(24) A.D. Gers, E supp 23925, séances du 2-02-1777, du 20-05-1781...
(25) A.M Plaisance, Registre des délibérations (1811 ... 1838)..., op. cit., séance du 12-06-1836.
(26) Plan Chanche..., op. cit.
(27) Vaysse de Villars, Itinéraire descriptif de la France. Route de Paris aux deux Bagnères, Barèges et autres eaux des Pyrénées (1° partie), 1830. « Plaisance est une petite ville de moins de 1500 âmes. Elle a un bureau de poste, une assez jolie petite place bordée d'arcades irrégulières et des rues assez bien percées ou plutôt des ruelles dont les principales aboutissent à cette place. La plaine où elle est située est ni sans agrément ni sans fertilité; mais ni la ville, ni sa situation ne sont assez jolies pour justifier le gracieux nom de Plaisance qu'elle porte et que des voyageurs mauvais plaisans pourraient prendre pour une mauvaise plaisanterie. Son commerce consiste en grains, vins et eaux-de-vie. J'avais remarqué à Aire beaucoup de belles maisons et quelques jolies femmes; à Plaisance au contraire quelques jolies maisons et un grand nombre de jolies femmes ».
(28) A.M Plaisance, Registre des délibérations communales (1838-1844) séance du 18-11-41.
(29) Henri Saint-Pierre Lesperet, ancien administrateur du département du Gers sous la Révolution, vice-président du Corps législatif en 1810 finit sous la Monarchie de Juillet sa carrière politique comme conseiller municipal de Plaisance. Il fut durant son mandat départemental le spécialiste des routes.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

(30) Délibérations communales 
(1811-1838) ... op. cit, séance 
du 28-05-1834 (Projet 
d'ouverture). Matrices 
cadastrales du plan de la 
commune, 1837. Diminutions : 
démolition de la grange de 
Barthélemy Olléris pour le 
percement de la nouvelle route.
 
 

(31) Délibérations communales 
(1838-1844) ... op. cit séance 
23-06-1839.

(32) Matrices cadastrales ... op.cit, diminutions 1852: terrains affectés à la voie publique
 
 
 

(33) A.M. Délibérations communales (1865-1894), séance du 13-05-1866, projet d'une construction en maçonnerie sur l'Adour : " cette demande ne saurait être contestée moins encore repoussée, si l'on considère surtout que la circulation sur cette route est continuellement journalière depuis l'établissement de la gare de Castelnau-Rivière-Basse et la création dans nos contrées de quatre minoteries dont les produits se répandent dans tous les sens et dans un rayon qui embrasse trois ou quatre départements circonvoisins ... ". La tradition orale rapporte que les Plaisantins se sont opposés en 1859 au passage de la voie ferrée dans leur commune: la locomotive pouvant incendier les récoltes de céréales, le nouveau moyen de transport étant jugé aussi contraire au bonnes moeurs. La disparition des Délibérations communales de la période 1844 - 1865 ne nous permet pas de vérifier cette tradition orale encore très vivace en cette fin du XX* siècle.
 
 
 

(34) Au coeur de la Gascogne.Beaumarchès;op.cit

(35) Sobriquet des habitants de Plaisance évoquant peut-être, le passé sombre de la bastide au XIV' siècle. 
(36) Pour J.J. de Latterade, Histoire de Lectoure, Imprimerie Bouquet, 1972, pages 281-282 M-P.Jeannin-Naltet. Le premier général lectourois de la Révolution, Jean Jacques de Latterade dans B.S.A.G, 1967. Sur Henri Saint Pierre Lesperet B.S.A.G. XXVI, 207; XXX 364. Notre Maréchal Foch par l'abbé Marsan, Tarbes 1919. Pierre Bertiaux, Le chevalier Saint Pierre Lesperet 1761-1847, un homme, une vie, une famille (manuscrit dactylographié).

(37) Délibérations communales op. cit. séance du 23-06-39.